dimanche 16 avril 2023

De la marche sur le feu au voyage chamanique dans l'espace





Bernard, lecteur de Case des hommes, a envoyé ce message: "Tu dis t'intéresser au chamanisme  contemporain, que mets-tu derrière ce terme ?" Durant le week-end de Pâques, je me suis donné congé le dimanche pour entreprendre le premier bain de soleil de l'année et procéder à un voyage chamanique. Je vais le décrire. La semaine prochaine, j'évoquerai des expériences de transes communautaires qui sont survenues sans que je les aie cherchées. C'était nord-africain, turc, hindou et indien d'Amérique. Nos expériences culturelles et spirituelles se ressemblent à travers les siècles et les continents. Le chamanisme en est l'une des plus anciennes. Il s'est développé différemment suivant les cultures ou les despotes qui se le sont appropriés.



À droite, un tambour.

Mon père a vécu une tragédie que j'ai découverte alors que j'avais 7 ans. Il m'a expliqué ce qui s'était produit sans mentionner son ressenti et n'en a plus jamais parlé. Tel était le sujet de mon voyage ce dimanche. Voilà comment je procède. Je bats la mesure sur le tambour que j'ai construit avec l'aide d'un chamane. Je me rends auprès de mon arbre préféré, une porte s'ouvre dans le tronc, j'entre pour me trouver dans un pré où m'attendent un éléphant volant et un tigre. Le félin s'installe derrière les oreilles du pachyderme, je me colle contre lui, sa queue passe entre me jambes et remonte pour soutenir mon dos. Nous nous envolons vers la découverte.

Voyage entre terre et ciel.

Dans les stages de chamanisme que j'ai fréquentés, mes collègues avaient chacun/e d'autres manières d'entrer en transe. Le néo-chamanisme fonctionne sans traditions tribales. Ce dimanche, mon pachyderme a volé vers l'Est, puis le Nord avant de foncer sur l'Afrique. Nous avons atterri à l'île Maurice, proche de la Réunion. Je me suis retrouvé devant un temple hindou où je m'étais rendu un soir, lors de vacances dans les années 1960. Avec quelques privilégiés assis au bord d'une piste de braises, nous avions assisté à la marche sur le feu de la communauté hindoue.


En cortège, les fidèles avançaient pieds nus sur des braises en suivant leur brahmane. Le lendemain à l'aéroport pour me rendre à l'île voisine, j'ai vu les pieds du brahmane, nus dans ses savates, sans aucune marque de brûlure ! Cette pratique est attestée en Inde depuis plus de mille ans avant notre ère. Certains prétendent que le bois est mauvais conducteur de la chaleur. D'autres expliquent qu'il faut dominer son corps: qui n'a pas peur ne se brûle pas. Dans la Bible,  le prophète Ésaïe (43:2) cite Yhwh (Jéhovah) encourageant Son peuple: "Oui, tu marcheras dans le feu, il ne t'atteindra pas, la flamme en toi ne brûlera pas." Ésaïe aurait vécu au 8e siècle avant notre ère. Pourquoi les religions d'aujourd'hui ne savent-elles pas mieux nous relier ?




Retour à mon voyage chamanique. Je m'engage pieds nus sur la piste de braises dans le sens invers des hindous et poursuis mon chemin en pénétrant dans une sombre caverne rocheuse. C'est rare: elle possède une sortie que j'atteins en dépassant des stalactites et stalagmites, puis en pataugeant dans l'eau. Un peu plus tard, j'arrive dans la maison où habitait mon père avant ma naissance. Sa première épouse -- dont j'ignorais l'existence lorsque j'étais enfant -- souffrait d'une très forte dépression. Traitée dans une clinique, elle voyait leurs deux enfants une fois par semaine, à la maison. Une personne était chargée de surveiller cette rencontre. Un après-midi, la mère a demandé à cette personne de raccorder le gaz (qu'on fermait en prévision de sa visite) pour qu'elle puisse préparer un chocolat chaud; et d'aller acheter des gâteaux pour les enfants. Lorsque le /la surveillant/e est revenu/e, l'adulte et les deux bambins étaient tués par le gaz.






À la fin du voyage, j'ai fait cette découverte à la place de mon père. Je suis entré et j'ai vu l'ampleur de la tragédie, ses deux enfants et son épouse qui étaient sa raison de vivre étendus par terre. Ce que j'avais compris de l'extérieur, avec compassion envers lui, je le ressentais pour la première fois de l'intérieur. Et je comprenais mieux pourquoi il n'en avait jamais plus parlé. C'était ingérable. J'avais sept ans; mes parents m'ont laissé seul me débrouiller avec cette histoire qui contredisait toutes les belles fables de mon éducation religieuse fondamentaliste. Dieu est amour, Il nous conduit vers de verts pâturages. Les parents nous protègent, etc...






C'est ainsi que le doute et la méfiance m'ont accompagné. Avec, pour avantage, le fait que je n'ai jamais cru ceux qui voulaient me "délivrer" du péché de l'homosexualité, de l'enfer auquel les pédés étaient condamnés. Mais j'ai aussi appris à renoncer à l'affection familiale. Ma chance: on ne m'a pas foutu dehors. À part mon père, ma tribu ne s'est jamais intéressée à mes activités ni à ceux que j'ai aimés. L'autre leçon que j'ai retirée de ce voyage chamanique: nos grands problèmes nous précipitent dans de sombres cavernes; mais si l'on trouve la sortie, on progresse néanmoins solidement dans la vie active. J'en ai fait l'expérience lorsque mon grand amour a été tabassé à mort et celui que j'aimais comme un frère a été terrassé par le sida, les deux le même jour.


André





















1 commentaire:

Xersex a dit…

Tu nous racontes des histoires de douleur. Il est nécessaire de traverser cette douleur pour devenir une personne plus forte et plus consciente et pour progresser de vie en vie. Moi aussi je dois faire ce progrès, même si je galère beaucoup. Souvent, il est même difficile de ne pas régresser.