Bernard, lecteur de
Case des hommes, a envoyé ce message: "Tu dis
t'intéresser au chamanisme contemporain, que mets-tu derrière ce terme
?" Durant le week-end de Pâques, je me suis donné congé le dimanche
pour entreprendre le premier bain de soleil de l'année et procéder à un
voyage chamanique. Je vais le décrire. La semaine prochaine, j'évoquerai
des expériences de transes communautaires qui sont survenues sans que
je les aie cherchées. C'était nord-africain, turc, hindou et indien
d'Amérique. Nos expériences culturelles et spirituelles se ressemblent à
travers les siècles et les continents. L
e chamanisme en est l'une des plus anciennes. Il s'est développé différemment suivant les cultures ou les despotes qui se le sont appropriés.
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| À droite, un tambour.
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Mon père a vécu une tragédie que j'ai découverte alors que j'avais 7
ans. Il m'a expliqué ce qui s'était produit sans mentionner son ressenti
et n'en a plus jamais parlé. Tel était le sujet de mon voyage ce
dimanche. Voilà comment je procède. Je bats la mesure sur le tambour que
j'ai construit avec l'aide d'un chamane. Je me rends auprès de mon
arbre préféré, une porte s'ouvre dans le tronc, j'entre pour me trouver
dans un pré où m'attendent un éléphant volant et un tigre. Le félin s'installe
derrière les oreilles du pachyderme, je me colle contre lui, sa queue
passe entre me jambes et remonte pour soutenir mon dos. Nous nous
envolons vers la découverte.
| Voyage entre terre et ciel.
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Dans les stages de chamanisme que j'ai fréquentés, mes collègues avaient
chacun/e d'autres manières d'entrer en transe. Le néo-chamanisme
fonctionne sans traditions tribales. Ce dimanche, mon pachyderme a volé vers l'Est, puis le Nord avant de foncer sur
l'Afrique. Nous avons atterri à l'île Maurice, proche de la Réunion. Je
me suis retrouvé devant un temple hindou où je m'étais rendu un soir,
lors de vacances dans les années 1960. Avec quelques privilégiés assis
au bord d'une piste de braises, nous avions assisté à la marche sur le
feu de la communauté hindoue.
En cortège, les fidèles avançaient pieds nus sur des braises en
suivant leur brahmane. Le lendemain à l'aéroport pour me
rendre à l'île voisine, j'ai vu les pieds du brahmane, nus dans ses
savates, sans aucune marque de brûlure ! Cette pratique est attestée en
Inde depuis plus de mille ans avant notre ère. Certains prétendent que
le bois est mauvais conducteur de la chaleur. D'autres expliquent qu'il
faut dominer son corps: qui n'a pas peur ne se brûle pas. Dans la
Bible, le prophète Ésaïe (43:2) cite Yhwh (Jéhovah) encourageant Son
peuple: "Oui, tu marcheras dans le feu, il ne t'atteindra pas, la flamme
en toi ne brûlera pas." Ésaïe aurait vécu au 8
e siècle avant notre ère. Pourquoi les religions d'aujourd'hui ne savent-elles pas mieux nous relier ?
Retour à mon voyage chamanique. Je m'engage pieds nus sur la piste de braises dans le sens invers des hindous et poursuis mon chemin en pénétrant dans une sombre
caverne rocheuse. C'est rare: elle possède une sortie que j'atteins en
dépassant des stalactites et stalagmites, puis en pataugeant dans l'eau. Un peu plus tard,
j'arrive dans la maison où habitait mon père avant ma naissance. Sa
première épouse -- dont j'ignorais l'existence lorsque j'étais enfant -- souffrait d'une très forte dépression. Traitée dans une clinique, elle
voyait leurs deux enfants une fois par semaine, à la maison. Une
personne était chargée de surveiller cette rencontre. Un après-midi, la
mère a demandé à cette personne de raccorder le gaz (qu'on fermait en
prévision de sa visite) pour qu'elle puisse préparer un chocolat chaud;
et d'aller acheter des gâteaux pour les enfants. Lorsque le /la
surveillant/e est revenu/e, l'adulte et les deux bambins étaient tués
par le gaz.
À la fin du voyage, j'ai fait cette découverte à la place de mon père. Je suis
entré et j'ai vu l'ampleur de la tragédie, ses deux enfants et son
épouse qui étaient sa raison de vivre étendus par terre. Ce que j'avais
compris de l'extérieur, avec compassion envers lui, je le ressentais
pour la première fois de l'intérieur. Et je comprenais mieux pourquoi il
n'en avait jamais plus parlé. C'était ingérable. J'avais sept ans; mes
parents m'ont laissé seul me débrouiller avec cette histoire qui
contredisait toutes les belles fables de mon éducation religieuse
fondamentaliste. Dieu est amour, Il nous conduit vers de verts
pâturages. Les parents nous protègent, etc...
C'est ainsi que le doute et la méfiance m'ont accompagné. Avec, pour
avantage, le fait que je n'ai jamais cru ceux qui voulaient me
"délivrer" du péché de l'homosexualité, de l'enfer auquel les pédés étaient
condamnés. Mais j'ai aussi appris à renoncer à l'affection familiale. Ma
chance: on ne m'a pas foutu dehors. À part mon père, ma tribu ne s'est
jamais intéressée à mes activités ni à ceux que j'ai aimés. L'autre leçon que j'ai retirée de ce
voyage chamanique: nos grands problèmes nous précipitent dans de sombres
cavernes; mais si l'on trouve la sortie, on
progresse néanmoins solidement dans la vie active. J'en ai fait l'expérience lorsque mon grand amour a été tabassé à mort et celui que j'aimais comme un frère a été terrassé par le sida, les deux le même jour.
André
1 commentaire:
Tu nous racontes des histoires de douleur. Il est nécessaire de traverser cette douleur pour devenir une personne plus forte et plus consciente et pour progresser de vie en vie. Moi aussi je dois faire ce progrès, même si je galère beaucoup. Souvent, il est même difficile de ne pas régresser.
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