Tous à la douche de plein air : la canicule menace !

Les vieillards sont un poids pour la société. À leur âge, ils ne peuvent plus se reproduire et pourtant leur nombre augmente. Allez l'expliquer! Les caisses de retraite lancent l'alerte: il faut s'en débarrasser. Les agences de voyage et les thés dansants sont d'un avis contraire. Les autorités politiques pèsent le pour et le contre et s'arrangent pour satisfaire tout le monde. Comme je fais partie des "personnes âgées de plus de 75 ans" (on n'est plus une femme ou un homme lorsqu'on a dépassé cette limite, tout au plus une "personne"), la Direction de la sécurité publique de la Ville de Lausanne m'a envoyé une circulaire intitulée (en gros caractères): "Soyez bien informés et accompagnés en cas de canicule". C'est un ordre.
L'oukase est accompagné d'une offre réjouissante: "Vous souhaitez bénéficier d'une visite en cas de canicule?" Je me suis immédiatement annoncé par téléphone, déclarant que je suis très sensible à la canicule (je l'adore, mais ils ne m'ont pas demandé cette précision). J'ai l'habitude de me mettre à poil dès qu'il fait chaud; cela je l'ai dit pour qu'ils envoient un homme plutôt qu'une vielle demoiselle facilement choquée. J'ai demandé un homme robuste, prétextant que je suis de forte corpulence et tombe facilement dans les pommes (surtout en présence d'un beau mec). J'ai ajouté que l'assistant social pourrait entrer directement par la porte-fenêtre que je laisserais ouverte puisqu'ils ont imprimé sur la feuille de conseil qu'il fallait bien ventiler. Depuis 77 ans, mon rêve est qu'un inconnu me surprenne en train de m'astiquer. Je vais enfin pouvoir le réaliser... Si, en arrivant, mon assistant la joue cool, je lui dirai de se mettre à l'aise et de choisir une boisson dans le réfrigérateur. S'il le prend mal, je tomberai dans les pommes. À mon âge, cette offense passera pour du gâtisme et une démence précoce.
J'en reviens au double calcul des autorités: beaucoup de vieux ont encore l'habitude d'obéir; de plus, ils ont cessé de réfléchir en quittant l'école. Donc, ils se sont précipités sous la douche froide (recommandation de la feuille de conseil) dès la semaine dernière, alors qu'on se les gelait. Ils ont peut-être imaginé que c'était par précaution. Maintenant, ils attendent la mort en crachant leurs poumons sur un grabat d'hôpital. Les autorités s'en lavent et frottent les mains. Elles ont pris toutes les précautions nécessaires. Quelques semaines trop tôt...

André