| Flaubert jeune homme.
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"Je suis doué d’une sensibilité absurde; ce qui
érafle les autres me déchire. Que ne suis-je organisé pour la jouissance
comme je le suis pour la douleur !" Ainsi se décrivait Gustave Flaubert
(1821-1880) l'auteur français qui s'est ingénié à brouiller les pistes
tout au long de sa carrière, ce qu'ont souligné les érudits qui ont récemment
analysé ses romans, ses amours et ses amitiés pour la Télévision
française, sous la direction de François Busnel.
Chez Flaubert, selon certains analystes -- pas mentionnés dans
l'émission -- il y avait incompatibilité entre les sentiments qu'il
ressentait envers ses maîtresses, envers les prostituées et sa vie d'artiste. Il ne fallait pas
que l'amour l'emprisonne. C'était par l'écriture qu'il pouvait préserver
sa virilité. Dans des lettres personnelles dont il avait souhaité la
destruction, on repère son fétichisme. Il se masturbait en contemplant
une paire de pantoufles dans lesquelles était enfoncé un mouchoir taché
du sang de son amoureuse Louise Colet. C'est à son très cher ami Alfred Le Poittevin que Flaubert a confié le
plus de secrets. Ils se sont promis de ne jamais se marier, mais Alfred
a rompu ce serment ce que Gustave a ressenti comme une trahison; la brouille
entre les deux hommes fut définitive.
| Maxime Du Camp et Flaubert.
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À son ami Louis Bouilhet, il décrit un voyage (1849-1851) qu'il entreprend en Égypte et en Syrie-Palestine pour revenir par la Grèce et
l'Italie, accompagné de Maxime Du Camp un copain d'enfance. "Puisque nous causons
de bardaches, écrit-il, voici ce que j'en sais. Ici c'est très bien porté. On
avoue sa sodomie, on en parle à table d'hôte. Quelquefois on nie un
petit peu, tout le monde alors vous engueule et cela finit par s'avouer.
Voyageant pour notre instruction et chargés d'une mission par le
gouvernement, nous avons regardé comme un devoir de nous livrer à ce
genre d'éjaculation. L'occasion ne s'est pas encore présentée, nous la
cherchons pourtant. C'est aux bains que cela se pratique. On retient le
bain pour soi (5 F, y compris les masseurs, la pipe, le café, le linge)
et on enfile son gamin dans l'une des salles."
Dans une lettre suivante: "À propos, tu me demandes si j'ai consommé
l’œuvre des bains. Oui, et c'est sur un jeune gaillard gravé de la
petite vérole et qui avait un énorme turban blanc. Cela m'a fait rire,
voilà tout. Mais je recommencerai. Pour qu'une expérience soit bien
faite, il faut qu'elle soit réitérée." Plus tard, dans le
Dictionnaire des idées reçues publié après sa mort, il définira ainsi le terme de
pédéraste : "Maladie dont tous les hommes sont affectés à un certain âge." À
Ernest Feydeau, alors qu'il détaille les problèmes rencontrés durant sa
rédaction de Salammbô, il ajoute: "Peut-être qu'en me fourrant quelque
chose dans le cul, ça me fera bander le cerveau. J'hésite entre la
colonne Vendôme et l'obélisque."
Dans le blogue précédent, je décrivais les liens qui rattachaient les
soldats de la Deuxième guerre mondiale les uns aux autres. Dans les pages de
Salammbô Flaubert
est explicite. "La communauté de leur existence avait établi entre ces
hommes des amitiés profondes. Le camp, pour la plupart, remplaçait la
patrie; vivant sans famille, ils reportaient sur un compagnon leur
besoin de tendresse, et l'on s'endormait côte à côte, sous le même
manteau, à la clarté des étoiles. Puis dans ce vagabondage perpétuel à
travers toutes sortes de pays, de meurtres et d'aventures, il s'était
formé d'étranges amours -- unions obscènes aussi sérieuses que des
mariages, où le plus fort défendait le plus jeune au milieu des
batailles, l'aidait à franchir les précipices, épongeait sur son front
la sueur des fièvres, volait pour lui de la nourriture, et l'autre,
enfant ramassé au bord de la route, puis devenu mercenaire, payait ce
dévouement par mille soins délicats et des complaisances d'épouse."
Plus loin: "Les frères se contemplaient, les deux mains serrées et l'amant faisait à son amant des adieux éternels, debout, en pleurant sur son épaule. [...] Parfois deux hommes s'arrêtaient tout sanglants, tombaient dans les bras l'un de l'autre et mouraient en se donnant des baisers." J'ai trouvé cette documentation dans l'anthologie de l'homosexualité Les Amours masculines de Michel Larivière (Lieu commun, 1984).
André